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Le jeu des trois figures

Lutter contre le harcèlement

A suivre :
Guide du jeu
Ça me fait de la peine quand je joue la victime, alors je pense à quelque chose de drôle.
Francis, 9 ans
Les empathies
Les empathies modifiées par le J3F
L'empathie et l'E.N.
Paroles d'enseignants
Prévenir le harcèlement

Les empathies

Imaginez un bateau comme en dessinent les enfants : la coque, les cabines des passagers, et tout au-dessus la cheminée.

L’empathie directe est figurée par la coque du bateau. Tous les bateaux ont en effet une coque, et tous les humains possèdent plus ou moins cette capacité. Elle se constitue en quatre étapes : l’empathie affective qui permet à partir d’un an de reconnaître l’émotion de l’autre, et en y répondant, de créer un partage émotionnel ; le souci de l’autre, qui se développe à partir de deux ans ; l’empathie cognitive qui s’appuie sur la théorie de l’esprit, et permet de comprendre, à partir de trois- quatre ans, que l’autre est différent de soi ; enfin, le contrôle des émotions qui permet, à partir de huit-neuf ans, de se mettre intentionnellement et émotionnellement à la place de l’autre en changeant de perspective émotionnelle. Cette dimension de l’empathie est un processus conscient qui nécessite d’être soutenu et encouragée, notamment à l’adolescence.

L’auto empathie (ou empathie pour soi) fait partie aussi de la « coque » car sa construction obéit aux mêmes étapes que la construction de l’empathie directe. Elle consiste à identifier ses propres émotions et ses propres états psychiques, à les accepter et à leur donner un sens.

L’empathie réciproque est figurée par le pont et les cabines des passagers. Elle correspond à la façon dont une personne reconnaît à une autre ce qu’il reconnaît pour lui-même, à la fois dans les domaines de l’estime de soi, du droit d’aimer et d’être aimé, et des droits citoyens. Elle tient la clé du sens moral.

L’empathie intersubjective est figurée par la cheminée. Quand elle fume, c’est que le bateau avance ! Elle consiste à reconnaître à l’autre la possibilité de m’informer utilement sur des aspects de moi-même encore inconnus de moi, de me découvrir, et d’avancer. Elle pourrait bien tenir la clé du bonheur…

Les empathies modifiées par le J3F

Le J3F renforce l’empathie affective

Le J3F contribue à favoriser l’identification des mimiques correspondant aux émotions de base. En effet, le rituel de départ qui invite les enfants à mettre en scène des émotions simples permet à chaque enfant de prendre le temps de se caler sur celles de ses camarades, et de découvrir dans leur regard le fait qu’il y soit parvenu (voir « Mimiques »).

Le J3F renforce l’empathie cognitive

Les enfants sont invités non seulement à mimer des émotions dans la phase préparatoire, mais également à nommer celles qui sont éprouvées par les différents protagonistes, comme la joie, la colère, la peur ou la tristesse, ainsi que celle, plus morale, de culpabilité. De façon générale, la nomination des intentions des différents protagonistes lors de la construction du scénario permet de mieux comprendre les états mentaux de l’autre. Cette caractéristique est renforcée par le fait que, dans le jeu proprement dit, chaque action est accompagnée de mots qui font sens.

Le J3F renforce le changement de perspective émotionnelle

Cette capacité est renforcée par le fait que chaque enfant est invité à changer de point de vue au moment où il change le rôle. Ce changement de point de vue est d’ailleurs spontanément matérialisé par les enfants, qui viennent se placer dans l’espace là où les précédents se sont tenus. Par exemple, si un agresseur s’est d’abord placé contre la fenêtre et sa victime du côté de la porte, lorsqu’ils changent de rôle, l’expérience montre que celui qui a joué d’abord le rôle de victime va endosser le rôle de l’agresseur en allant se placer à son tour près de la fenêtre.Le changement de perspective émotionnelle est également illustré par une autre observation. L’expérience a montré que les enfants développent dans le cadre du J3F des stratégies de soutien les uns envers les autres. Ainsi les « souffleurs » viennent pallier aux difficultés de mémorisation de leurs camarades. Et dans la classe accueillant un enfant autiste sans langage, celui-ci a pu jouer tandis qu’un autre lui prêtait sa voix.

Le J3F renforce l’auto-empathie

Le J3F met souvent en scène des situations de tension ou d’agression dans lesquelles la victime ne reste jamais muette et formule sa protestation. Cette règle vise à permettre aux enfants de ne plus se laisser maltraiter sans protester. Cette aptitude participe à la construction de l’auto-empathie, autrement dit la capacité à identifier ses propres émotions et à se venir en aide à soi-même en les exprimant (« Aïe ! Tu me fais mal ! »). N’oublions pas non plus qu’une victime dénonce plus facilement une agression auprès d’un tiers (un enseignant, un éducateur, un psychologue ou un médecin) quand elle l’a d’abord verbalisée auprès de son agresseur lui-même.

Le J3F renforce le contrôle des émotions et les compétences exécutives

A chacune des phases du jeu : attendre son tour de parole, écouter les propositions des camarades, se souvenir des étapes précédentes du scénario pour construire les nouvelles, adapter ses propositions à celles des autres pour permettre une construction collaborative, etc.

Le J3F renforce l’empathie réciproque

Au moment où chaque enfant est invité à adopter le point de vue de l’autre en endossant son rôle, il abandonne en même temps le rôle qu’il vient de jouer à un autre enfant. Il met ainsi en scène le fait d’accepter que l’autre prenne sa place.

Le J3F n’agit pas sur l’empathie intersubjective

Cette dernière composante de l’empathie n’est pas modifiée par le J3F puisqu’aucun enfant n’est invité à faire de commentaires sur les attitudes des autres participants, et que les professionnels animant le jeu se l’interdisent eux aussi.

L'empathie et l'E.N.

La construction de l’empathie est valorisée dans le Parcours Éducatif de Santé établi par le Ministère de l’Education nationale à l’attention des équipes pédagogiques et éducatives. Elle trouve sa place à côté de l’attention aux autres et de l’implication dans un travail commun, de la conscience de soi et de la gestion du stress et des émotions (annexe 2, pages 23-24).

Paroles d'enseignants

« Ce Jeu est vraiment révélateur des relations et interactions entre les enfants. »

Marie Christine F., enseignante en grande section de maternelle.

« Il y a beaucoup moins de bagarres et de violence verbale à la fois dans la classe et dans la cour. »

Roseline L., enseignante en CM1.

« Je me suis aperçu que les élèves savaient mieux s’organiser entre eux que je le pensais ! Maintenant, je leur laisse plus d’initiatives dans la classe. »

Clara J., enseignante en CM2.

« Les enfants les plus timides ont pris de l’assurance et osent venir voir l’enseignante quand on les embête. »

Céline K., enseignante en CM1.

« Je vois les enfants qui commencent à parlementer entre eux. »

Eric B., enseignant en CE2.

« Globalement, on peut dire que le climat de classe est plus apaisé et que les règles de vie sont mieux intériorisées. »

Dominique N., enseignante en CP.

« Je ne sais pas dans quelle mesure le J3F fait changer les élèves, mais moi, il m’a amené à voir mes élèves autrement, et à leur faire plus confiance ! »

Laurence S., enseignante en CM2.

« Quand il y a un conflit dans la cour, le dialogue devient un outil, et le vocabulaire change. »

Flore M., enseignante en CM2.

« Deux élèves qui n’osaient pas prendre la parole ont sensiblement modifié leur position dans le groupe : ils osent maintenant s’affirmer, voire même s’opposer à certains de leurs camarades. Ils ont pris une place entière au sein de la classe. »

Mireille G., enseignante en CM1.

« Un élève difficile et replié sur lui-même a une attitude plus posée, moins angoissée (il ne soliloque plus…) notamment depuis qu’il a pu parler à son enseignante (fin mars) de la pression qu’un autre élève de la classe exerçait sur lui depuis plus d’un mois. »

Pascale L., enseignante en CP.

« Un élève qui, dans la classe affiche l’image d’un “dur” s’est surpris à se préoccuper du sort la victime pendant le jeu dans lequel il était agresseur ! »

Jacky M., enseignant en 6 ème.

« Des élèves m’ont dit que cette activité renforce la cohésion entre eux : “ Des fois on n’est pas toujours ensemble, on n’est pas gentils avec les autres “, ” Ici, on joue ensemble, avec les autres ”, “ On a un projet ensemble, comme le webdoc ”. »

Hélène H., enseignante en CM2.

Prévenir le harcèlement

Contre le harcèlement, développons une dynamique de classe qui invite chaque enfant à s’exprimer dans la curiosité et le respect mutuel [1]

Par Serge Tisseron

Créateur du Jeu des trois figures, auteur notamment de : L’Empathie au cœur du jeu social, et de Empathie et manipulations, les pièges de la compassion (Albin Michel).

L’empathie s’est d’abord développée dans les relations mère bébé pour assurer la survie de l’espèce, et elle s’est ensuite considérablement compliquée chez l’homme avec le développement du langage et des diverses normes sociales. Mais elle reste enracinée dans la communication affective et le rôle joué dans la construction psychique et sociale par les diverses formes d’interactions. Il est admis aujourd’hui qu’elle associe quatre composants. L’empathie émotionnelle, qui se développe dès les premiers mois, permet de comprendre valablement les états émotifs des autres à partir des signaux affectifs qu’ils expriment, et à avoir également conscience de ses propres état émotionnels. Le souci de l’autre, qui commence à se manifester dès deux ans, motive des réponses comportementales d’aide à des humains dans la détresse ou le besoin. L’empathie cognitive, qui se développe à partir de 3-4 ans, permet de comprendre que l’autre a une vie mentale différente de la mienne et de prendre notamment en compte les paramètres culturels autant qu’individuels. Enfin, le bon usage de ces compétences suppose d’être capable de réguler ses émotions et de les orienter selon des objectifs précis. Chacune de ces compétences suit son développement propre, mais chacune est également en interaction permanente avec les autres de telle façon qu’elles s’influencent mutuellement, exactement comme les déterminants biologiques et environnementaux contribuent ensemble au développement de l’enfant.

Le rôle central du contrôle des émotions

De tous ces facteurs, le plus important semble être le contrôle des émotions qui se développe à partir de 3-4 ans. On désigne sous cette expression un ensemble de processus qui permettent à une personne de gérer la durée et l’intensité des émotions qu’elle éprouve de telle façon qu’elle courre moins le risque d’être débordée par l’excitation émotionnelle. Un meilleur contrôle volontaire des émotions permet notamment de résoudre les conflits par des méthodes verbales non hostiles plutôt que par des méthodes agressives. Et il permet également de mieux orienter ses émotions vers un objectif. Si cette personne est animée par le souci de l’autre et encouragée par l’environnement, cette compétence lui permet d’adopter intentionnellement, et plus seulement intellectuellement, le point de vue d’autrui. Cette attitude permet d’exprimer plus facilement de la préoccupation pour la détresse et les besoins d’autrui ainsi que des comportements d’aide à son égard. Il a d’ailleurs été montré que le contrôle des émotions est corrélé positivement avec le souci de l’autre et la capacité de manifestations empathiques[2].

L’empathie ne peut pas s’enseigner, mais elle peut s’apprendre

La conscience croissante de la violence et du harcèlement entre élèves mobilise aujourd’hui le gouvernement, et c’est tant mieux. L’empathie est perçue à juste titre comme un antidote. Faut-il pour autant « l’enseigner » ? Le mot est ambigu si on se représente cet enseignement comme celui de l’histoire ou des mathématiques. Il a d’ailleurs été montré que des « cours d’empathie » n’ont presque aucun impact sur l’empathie émotionnelle, des effets très faibles sur l’empathie cognitive, et que ces effets durent en outre très peu de temps. Mais la méthode Fri For Mobberi pratiquée au Danemark est une méthode bien plus globale que quelques heures de cours dédiés. Elle est axée sur la création d’une dynamique de groupe qui invite chaque enfant à s’exprimer, à exposer son point de vue, dans une curiosité et un respect mutuel. Car si l’empathie ne peut pas s’enseigner, elle peut s’apprendre. En effet, si les enfants n’acquièrent pas des comportements prosociaux passivement en écoutant exposer leurs bienfaits, ils peuvent les construire à travers des engagements collectifs.

La méthode Fri For Mobberi a été créée en 2007, l’année où ont été lancé en France les premiers programmes de prévention de la violence en milieu scolaire par le Jeu des trois figures, d’abord en maternelle sur l’académie de Versailles, puis en en cycles 2 et 3, et depuis 2022, en cycle 4 sur l’académie de Paris avec un protocole adapté à l’âge des élèves. Les deux méthodes sont apparemment très différentes puisque le J3F est une activité inspirée du jeu théâtral centré sur les figures de l’agresseur, de la victime et du tiers, celui-ci pouvant être simple témoin, redresseur de tort ou sauveteur. Mais dans les deux cas, le travail central porte sur l’importance donnée à la prévention en commençant dès la moyenne section de maternelle, le développement du langage, la compréhension et le contrôle des émotions, la culture commune développée à travers des activités partagées, et l’importance de l’expression de chacun dans le respect mutuel. Avec, dans le J3F, une importance particulière donnée aux mises en situations à travers le jeu, afin de mettre en place des réflexes comportementaux, à commencer par la capacité, dès le plus jeune âge, de pouvoir dire « non ».

Contre le harcèlement, l’empathie ne suffit pas

La compétence empathique est insuffisante à elle seule pour permettre à la victime de protester, tout comme elle est insuffisante aux témoins pour intervenir. Pour passer de l’empathie à l’action, il y faut un sens de la responsabilité personnelle et la conscience de la nécessité d’agir, y compris lorsque cela implique de protester contre l’ordre établi. Bref il faut du courage. La compétence empathique nous conduit à nous désoler de la souffrance d’autrui, mais elle n’est pas suffisante pour que nous nous engagions en sa faveur. L’inaction du témoin relève souvent moins d’un défaut d’empathie que de la crainte de se différencier de son groupe. Ensuite, bien entendu, il est capable d’inventer beaucoup de raisons pour justifier son inaction, qui vont de « je n’aurais pas cru que ce soit grave … » à « je ne pensais pas avoir une responsabilité à intervenir parce que… ». Mais ces diverses formes de déni ne doivent pas nous cacher que c’est toujours la peur de s’imposer comme différent et d’affronter une possible condamnation par ses pairs qui est en cause. C’est pourquoi il est important d’apprendre aux enfants le respect des autres, mais aussi d’eux-mêmes, et de leur donner des éléments de langage pour qu’ils soient en mesure de protester aussitôt qu’ils se sentent malmenés. Et aussi de leur permettre d’intervenir dans des situations d’agression en faisant en sorte que personne ne se sente ni agressé, ni incompris.

Une révolution pédagogique

Mais, dans ces programmes, n’oublions pas non plus la responsabilité des adultes : on ne peut pas viser à développer l’empathie des élèves si on ne se préoccupe pas de l’empathie des enseignants. Or elle aussi est concernée par les activités proposées. L’heure hebdomadaire de la méthode Fri For Mobberi et les 45 mn consacrées chaque semaine au Jeu des trois figures doivent être considérées comme un espace d’apprentissage autant pour les élèves, dans la construction de leurs compétences collaboratives et de leur souci d’entraide, que pour les enseignants. Ceux-ci doivent être clairement informés qu’il s’agit de donner plus de place à l’expression des émotions chez leurs élèves et d’encourager leurs compétences collaboratives, mais aussi de développer leurs propres capacités de réflexivité sur leurs interactions avec eux et de changer de regard sur leurs capacités d’autorégulation.

Or c’est justement tout ce qui ne leur a jamais été appris, et encore moins demandé. Pour ne pas donner l’impression aux enseignants que les outils qu’on va leur proposer d’utiliser « pour lutter contre le harcèlement » alourdissent leur charge de travail et ne sont pas congruents avec ce qu’on leur a appris jusqu’ici, il faut mettre l’expression des élèves et le travail collaboratif au centre de l’ensemble de l’enseignement, et pas seulement d’une heure hebdomadaire. C’est plus qu’une rustine pour limiter l’expression de la violence, c’est une révolution pédagogique.

Or ne sous estimons pas les difficultés :  le travail collaboratif et la valorisation de l’expression des élèves est loin d’être aussi répandue en France qu’au Danemark. Il existe dans les pays scandinaves une tradition qui pousse les enfants à s’exprimer, à se découvrir et à s’intégrer. L’école française est encore très verticale. L’ampleur des obstacles impose de programmer cette évolution sur un temps long. On ne peut pas expliquer aux enseignants l’empathie pour qu’ils l’expliquent à leurs élèves. Mais on peut inviter les enseignants volontaires à l’éprouver d’abord dans des activités partagées pour qu’ils puissent ensuite continuer à la découvrir dans une relation différente avec leurs élèves, pour le plus grand bien des uns et des autres.

[1] Une version courte de ce texte est parue dans Le Monde du Samedi 7 octobre 2023.

[2] Rothbart, M. K., Ahadi, S. A., & Hershey, K. L. (1994). Temperament and social behavior in childhood. Merrill-Palmer nous Quarterly, 40, 21-39.